(Québec) Les beaux jours arrivaient toujours avec l’agneau du printemps. Ils venaient de la bergerie, non loin du restaurant. Mon chef bourru, mais gentil avait toujours hâte de revoir son ami Jacques qui élevait ses agneaux. «Élevé sous la mère», s’exclamait ce dernier en rentrant dans la cuisine avec une carcasse sur l’épaule enveloppée dans un grand linge. Tout sourire dehors, les deux comparses s’étreignaient, puis, se retournant vers moi, le chef me disait : «Veille, p’tit», puis il disparaissait au bar avec l’éleveur pour se raconter les dernières histoires de l’hiver et refaire le monde.
L’agneau du printemps est un agneau de lait élevé en bergerie, nourri uniquement du lait de sa mère. Il est abattu après 30 à 40 jours et sa carcasse pèse environ de 10 à 15 kg. Tendre, de couleur claire, d’une odeur faible, sa chair fine et savoureuse régalait les clients venus uniquement pour ça. Mon chef avait l’habitude de dire : «C’est du bonbon.»
Pendant de très longues années, l’agneau qui a été consommé au Québec, à partir des années 80, arrivait de la Nouvelle-Zélande. Celui de l’Australie a suivi. Mais, avant ces arrivages massifs, longtemps on a mangé ici du mouton avec un goût fort et soutenu. Les souvenirs d’une viande trop typée à la saveur laineuse sont restés longtemps dans la mémoire des Québécois. Finalement, dans les 20 dernières années, l’agneau du Québec s’est développé et a commencé à apparaître sur les grandes tables des restaurants, puis dans nos boucheries et nos épiceries.
À travers nos régions, de nombreux producteurs s’y sont intéressés en essayant de profiter de l’environnement dans lequel ils se trouvaient pour élever leur troupeau. Ils ont misé sur la distinction, supporté par un cahier de charges qui assurait cette spécificité et ce goût différent d’une région à l’autre.
Je pense entre autres à :
L’agneau de Gaspésie, nourri aux algues, dans la Bergerie du Margot. Cet agneau absolument délicieux se caractérise par son origine et par l’ajout d’algues à sa ration. Sa moulée sent la mer. L’orge est mélangée à des algues séchées de la famille des ficus. Une alimentation à base de fourrage et de grains provenant de la région, sans antibiotiques, ni hormones, ni farines animales. Tendreté, persillage et uniformité, voilà ce que les chefs adorent pour leurs clients.
L’agneau de Charlevoix, le premier à recevoir une appellation IGP (indication géographique protégée – appellation réservée sur la base du lien avec un terroir). Lucie Cadieux a travaillé pendant 15 ans sur son agneau pour arriver à cette reconnaissance. L’agneau de Charlevoix est un agneau né et élevé de sa naissance jusqu’à la fin de l’engraissement dans la région. Son alimentation de base est constituée d’orge et d’avoine produites localement.
L’agneau de Kamouraska. Patrick Labrie de L’Agnelerie élève son troupeau avec son propre fourrage légèrement salé, récolté non loin des brises du fleuve. Bien sûr, ceci n’est pas sans nous rappeler les bons souvenirs de cette viande d’agneau de prés-salés de l’Île Verte, qui n’est plus disponible depuis quelques années maintenant.
Les régions de Lanaudière et de l’Estrie disposent aussi de leurs propres spécifications et règles d’authenticité.
Je me suis rendu à Sainte-Hénédine, aux limites de la Beauce et de Bellechase, rencontrer René Gagné dans sa bergerie Ovigène où son intérêt s’est centré sur les sujets reproducteurs.
«Je voulais me démarquer des autres. De fil en aiguille, mon travail sur la génétique est devenu une passion. Je fais aussi la production de viande d’agneau pour la vente à la ferme, mais pour moi, trouver les bons béliers et les bonnes brebis pour faire les meilleurs agneaux, un agneau de qualité, c’est ça qui m’attire», m’explique René.
«Mais est-ce que ce travail ne va pas conduire à une uniformité du produit?»
«Oui, pour une meilleure qualité, plaide-t-il. Mais bien sûr, l’endroit où il va être élevé et ce qu’il va manger par la suite va faire le reste du travail pour parfaire la viande. Il est intéressant aussi de constater que chaque producteur croit à la propre génétique qu’il développe», m’indique René.
«Pourquoi ne pas se concerter entre éleveurs pour avoir une race spécifique alors?»
«Les secrets ne se partagent pas toujours», glisse-t-il, sourire en coin.
La compétition est forte lorsque l’on voit ces pays qui produisent et expédient par avion chaque semaine au Québec et dans le reste du Canada, un agneau frais à des prix défiant toute concurrence. Pour certains, le choix entre la qualité et le prix est assez simple. Mais je pense qu’il faut toujours garder à l’esprit que pour des questions d’autonomie alimentaire, d’environnement, d’écologie et de développement durable, consommer des produits locaux est un devoir social et une belle occasion dans certains cas, d’avoir un goût du fleuve dans l’assiette!
Conseil : les carrés, les gigots, les épaules sont d’excellentes parties de l’agneau. Mais si l’opportunité se présente et que votre boucher a des ris ou du foie, n’hésitez pas. Je vous convaincrai une autre fois que le coeur ou les animelles par exemple sont aussi d’excellents morceaux.
Bergerie Ovigène, René Gagné, 532, route Sainte-Thérèse Sainte-Hénédine, Tél. : 418 935-3701
Jean Soulard